Entrepreneurs from Africa

Trois mois. Un peu plus d’un trimestre passé sur le continent africain à voyager de villages en banlieues, de banlieues en villages, en quête d’entrepreneurs issus d’une situation de précarité. Mission accomplie car après plus d’une centaine d’entrepreneurs rencontrés et vingt-cinq analyses réalisées, il est temps pour le Projet Source de produire son premier bilan.

Chercher un entrepreneur en situation de nécessité était presque un euphémisme sur ce continent : l’assistanat public étant inexistant, les individus n’ont d’autres choix que d’entreprendre des petits business afin de survivre. Le hasard fait bien les choses, car c’était pour cette raison que nous souhaitions au départ nous diriger vers ces régions.

 

Réponse à nos contradicteurs

Avant notre départ le 27 janvier dernier, une question (et critique) les plus redondantes quant à notre projet était « mais pourquoi vous obstinez-vous à aller étudier le comportement entrepreneurial dans ces pays perdus ? Si votre objectif est d’aider les entrepreneurs français, restez en France ! ». Oui… mais non.

 

A l’époque nous ne pouvions répondre de manière concrète et probante : notre connaissance du terrain était alors minime et notre réponse aurait été basée sur des hypothèses, des « il semble que ». Aujourd’hui, nous pouvons donner cette réponse, en étant sûrs de nos acquis, et même avec preuves à l’appui s’il le faut. L’entrepreneuriat par nécessité, qu’il soit français ou africain, fait face exactement  aux mêmes problèmes, aux mêmes risques et aux mêmes besoins. Croire que les difficultés de levées de fond, de réseau, de gestion de trésorerie ou de TRI(1) sont le monopole des entrepreneurs par nécessité français est une erreur. Plus qu’une erreur, cela est ce qu’on appelle un préjugé. Oui, l’entrepreneur africain doit également répondre à tout cela, même depuis son village ou son quartier. N’oublions pas que notre monde connaît ces dernières décennies un phénomène de globalisation, il est un « global village » si nous reprenons l’expression anglaise de Marshall McLuhan : nous partageons avec le monde nos richesses et nos valeurs, mais également nos problèmes et nos difficultés.

 

La différence majeure, et qui constitue par la même occasion la valeur-ajoutée de l’entrepreneur par nécessité africain (contrairement à l’entrepreneur par nécessité français), réside dans le fait qu’il se retrouve seul face à son projet. Aucune subvention institutionnelle aussi petite soit-elle, aucun réseau associatif disponible, aucun moyen de communication développé ne lui permettent d’avancer dans son projet : il navigue à vue et entreprend par instinct. Et c’est cet aspect instinctif qui mérite notre déplacement, que nous nous obstinons à analyser, et nous allons vous expliquer pourquoi.

 

Pourquoi étudier l’entrepreneuriat par nécessité en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie avant de nous concentrer sur la sphère franco-française ? Parce que le comportement entrepreneurial présent dans ces régions est la plus parfaite représentation d’un entrepreneuriat passé et perdu de notre société comme fut celui d’après-guerre : un entrepreneuriat ouvert à quiconque ayant la force du poignet et de l’esprit, une philosophie (réalité ?) qui a su accompagner les regrettées Trente Glorieuses.

 

Un entrepreneuriat qui était alors à cette époque libre et naturel avant de se voir décortiqué, domestiqué et complexifié par différentes institutions lors de notre passage à une ère mondialisée. Cette appropriation institutionnelle a alors fait de la création d’entreprise ce qu’elle est devenue aujourd’hui pour la majorité : une notion obscure si ce n’est dire ésotérique, une discipline réservée à des initiés, à une élite. Mais rappelons-nous Schumpeter : avant d’être un diplômé des grandes écoles, l’entrepreneur est avant tout un aventurier.(2)

De ce fait, comprendre sur quoi se sont basés les entrepreneurs que nous rencontrons afin de concrétiser leur projet, et parfois arriver à des réussites surprenantes, constitue l’essence même de notre projet. Si nous parvenons à maîtriser les fondamentaux de ce comportement dans une situation de globalisation, nous pourrons alors les enseigner et les adapter à la sphère française et ainsi ressourcer l’entrepreneuriat par nécessité dans notre pays. Entendons-nous, nous ne prétendons pas apprendre aux personnes issus d’une situation de précarité à prévoir leur BFR sur l’année, calculer leur TRI ou rédiger un Business Plan à la perfection(3) : nous laissons ce travail à des institutions existantes bien plus compétentes que nous. Notre objectif est en amont de tout cela :  réveiller l’instinct entrepreneurial chez ces individus aujourd’hui en situation de précarité, fait aujourd’hui négligé et qui pourtant demeure indispensable pour quiconque entreprenant non pas par vocation ou opportunité, mais par nécessité.

 

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Bilan de l’entrepreneuriat par nécessité en Afrique

Tout au long de nos rencontres et de notre étude sur le continent africain, nous avons pris conscience qu’il existait très clairement deux profils distincts dans la classe des entrepreneurs issus d’une situation de précarité : le rêveur et le duplicateur. Nous résumerons ici ces deux profils à l’essentiel, nos données devant encore faire l’objet d’une comparaison sur les autres terrains d’étude afin de tirer des profils « globaux ».

 

 ·         Rappel de notre profilage :

Les principaux critères des entrepreneurs rencontrés et étudiés sont les suivants :

–          Ils vivent depuis presque toujours dans la région où ils entreprennent,

–          Ils sont intégrés dans leur communauté,

–          Ils ont parfois été soutenus par un parrain local,

–          Ils ont démarré leur projet sans capital matériel ou immatériel.

Et bien sûr, tout cela dans le but de subvenir à leurs besoins vitaux.

 

 ·         Le « duplicateur » :

Le premier profil est donc celui du « duplicateur ». Quiconque ayant voyagé un temps soit peu dans ces régions voit de quoi nous parlons : vous trouvez bien souvent dans la même zone une trentaine de personnes exploitant exactement les mêmes produits avec plus ou moins les mêmes prix.  Ce comportement entrepreneurial que l’on peut qualifier « d’entrepreneuriat boule de neige » n’est pas le plus complexe à analyser. Un voisin ayant entrepris une affaire d’un certain type et qui parvient aujourd’hui à subvenir convenablement à ses besoins sert alors d’inspiration pour ses pairs. L’individu n’ayant plus rien à perdre et devant également subvenir à ses besoins va alors « copier » ce business modèle afin de lui aussi tenter sa chance. Nous caractérisons également ce phénomène d’entrepreneuriat « inanimé » au sens propre du terme, c’est-à-dire sans « âme ».

Nous constatons que les individus dans ce cas que nous avons rencontré n’ont, en général, aucune vision à long-terme de leur entreprise et ne cherchent d’ailleurs pas à en avoir. Ils se laissent porter au gré du vent et des événements, se contentent des maigres revenus présents tout en espérant bien évidemment toujours plus, mais sans pour autant se donner les moyens d’y parvenir. Nous constatons également que ces individus ne réinvestissent pas les revenus engrangés dans leur entreprise ou juste ce qu’il faut pour maintenir leur activité. Plus précisément, ils ne semblent pas croire en leur activité actuelle, elle n’est qu’un moyen provisoire de subvenir à leurs besoins et de ce fait, celle-ci stagne voire décline.

 

 ·         Le « rêveur » :

Le second profil est bien plus riche et constructif, nous l’appelons « le rêveur » ce qui est dans notre étude une qualité. La qualité principale de cet entrepreneur est sa faculté à s’interroger personnellement sur ses acquis et désirs. Les entreprises qui réussissent le mieux parmi celles que nous avons croisé sont issues d’un rêve, une idée ou une faculté d’enfance que la personne a adapté à la situation actuelle.

Nous avons pu remarquer que dans ce cas, l’individu a fait un jour l’effort de s’interroger sur ses facultés et passions passées. C’est ensuite suite à un déclic qu’il a décidé de se consacrer à celles-ci. Les cas peuvent être les suivants : une passion pour la musique, pour la mécanique, pour la nature qui vont se concrétiser en un studio d’enregistrement, un garage, une agence de tourisme. Mais le point important est que ces entreprises progressent de manière étonnante et que ces individus ont une véritable vision à long-terme de leur projet ! Ils sont aujourd’hui capables de nous répondre de manière sensée et construite sur leurs plans à 5 ou 10 ans. Leur vision et utilisation des revenus de l’entreprise est de ce fait différente : ils n’hésitent pas à ré-investir leurs revenus afin de pérenniser leur activité et accordent une très grande importance à l’épargne. De notre point de vue cela peut sembler logique, mais rappelons que ces personnes sont en situation de précarité et que seuls les revenus de leur entreprise garantissent leur survie, cela devient dès lors un effort considérable de ne pas conserver ses revenus pour soi-même.

 

 ·        Bilan des ces deux profils :

Quel enseignement pouvons-nous tirer de ces informations ? Qu’un entrepreneur qui est issu d’un situation de précarité et qui ne dispose pas de formation spécifique doit entreprendre un projet par intérêt et non par logique. En d’autres termes, cet individu doit faire fonctionner le coeur avant de faire fonctionner l’esprit car une fois que la passion réside dans le projet, l’esprit suivra forcément alors que la réciproque s’avère fausse. Il faut donc rattacher le projet à des traits ou une histoire personnelle et non pas à une possible opportunité qu’une autre personne aura déceler. Rappelons encore que ces individus ne deviennent pas entrepreneurs par vocation ou opportunité mais par nécessité de survie. Le succès de leur projet dépend donc de l’intérêt que nous réveillons chez eux pour celui-ci et non pas des débouchés potentielles.

Cette caractéristique de l’entrepreneuriat par nécessité semble cruciale car si nous n’en prenons pas compte, nous conduisons probablement le projet à sa perte. L’objectif de cet entrepreneuriat n’est pas d’engendrer un nouveau Apple ou Facebook mais, d’abord, de créer des activités qui permettent aux entrepreneurs de subvenir à leurs besoins durablement, puis de recréer de la richesse économique et sociale dans leur entourage, quartier, communauté. Il en va dès lors de la responsabilité des personnes qui souhaiteraient suivre et encourager ces projets de procéder à un travail d’introspection avec ces futurs entrepreneurs. Ce travail doit néanmoins être mené avec soin car la personne doit prendre conscience par lui-même de ses atouts et intérêts afin que, par la suite, il soit confiant et persévérant dans son projet.

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Les trois points fondamentaux de l’entrepreneuriat par nécessité

Au-delà de cet aspect que nous dirons presque de « psychologique », nous avons également constaté que la réussite d’un projet d’une personne issue d’une situation de précarité reposait sur trois points fondamentaux. Dans chacune de nos rencontres et analyses, ces trois points se sont avérés stratégiques pour garantir la survie et l’expansion du projet : mise en valeur du savoir-faire, activation du réseau, gestion des premiers flux de trésorerie.

 

  • Mise en valeur du savoir-faire

Ce point est la suite logique de ce que nous évoquions précédemment. Après avoir pris conscience de ses atouts et intérêts, l’individu doit savoir comment les adapter et les mettre en valeur dans un projet de création d’entreprise.

 

  • Activation du réseau

Un projet de création d’entreprise nécessite le plus souvent l’existence d’un réseau d’acteurs : clients, fournisseurs, investisseurs, employés, etc. Le problème reste où trouver ces acteurs et plus le projet est de taille importante, plus trouver ces acteurs semble difficile et incertain. Ce problème de réseau effraie le plus souvent une personne souhaitant entreprendre car elle reste persuadée qu’elle n’en a aucun. Néanmoins, pour des projets locaux comme le sont bien souvent ceux issus d’une situation de précarité, nous avons tous un réseau : famille, amis, voisins, communautés. Il suffit dès lors d’en prendre conscience et de savoir l’activer à bon escient afin de permettre à son projet de démarrer.

 

  • Gestion des premiers flux de trésorerie

Ce point, qui peut sembler redondant à tout projet de création d’entrepris, est cependant encore plus spécifique en ce qui concerne l’entrepreneuriat par nécessité. Rappelons-le, la personne n’entreprend pas par opportunité ou par choix, mais par nécessité de survie ce qui est forcément synonyme de moyens monétaires dans notre société. La tentation de s’accaparer les premiers revenus de l’entreprise est donc forte pour ces individus au détriment du futur de celle-ci. Il est alors indispensable pour ces personnes de faire, dès les débuts du projet, la différence entre les flux de trésoreries internes à l’entreprise et les revenus qui lui serviront ensuite « d’augmenter son confort ».

 

Ne nous mentons pas : le travail reste à faire !

Un travail approfondi sur ces trois fondamentaux au préalable du projet, ainsi que tout au long de celui-ci, apparaît dans notre premier bilan comme indispensable afin d’optimiser les chances de réussite de l’entreprise. Mais ne crions pas trop vite victoire, le continent africain ne représentait qu’un-tiers de notre étude internationale et nous devons aujourd’hui réaliser les mêmes expérimentations en Amérique du Sud et Asie avant de produire une adaptation et concrétisation sur le sol français. Le gros de la tâche reste donc devant nous mais ces premiers résultats nous confortent et nous encouragent pour la suite du projet : nous atteindrons notre objectif, encourager et promouvoir la création d’entreprise en France auprès des personnes en situation de précarité.

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