Le Morin Jim Café

chevaux

 

Là où ciel et terre se rencontrent

Pays des chevaux et des grands espaces, la Mongolie ne peut que vous surprendre de par sa diversité géographique et culturelle. Nous avons bien souvent l’image de steppes verdoyantes où se répartissent quelques yourtes quand nous parlons de ce pays : cela est vrai, mais nous restreignons alors la Mongolie à 20% de sa superficie. Rendez-vous dans les taïgas du nord, à la frontière russe, et vous rencontrerez le peuple nomade Tsaatan, éleveurs de rennes, vivants au milieu des forêts dans leurs tipis. Dirigez-vous plutôt au sud et et vous atteignez le désert du Gobi, désert aussi vaste que la France abritant une faune et une flore uniques au monde. Si vous allez à l’ouest, dans la chaîne montagneuse de l’Altaï, vous croiserez cette fois le peuple Kazakh, dresseurs de faucon au milieu de monts enneigés. Ou encore, partez à l’est, là où « le ciel et la terre se rencontrent » dans des plaines arides à perte de vue, berceau du grand Gengis Khan. Vous l’aurez compris, la Mongolie est un pays qu’on ne se lassera pas de découvrir.

Avons-nous pu couvrir les quatre points cardinaux dans ce pays ? Malheureusement non : les distances y sont trop grandes et les routes trop vétustes pour le lapse de temps que nous nous étions accordés. Nous nous sommes contentés du centre et du nord du pays avec comme premier arrêt la vallée de l’Okhon, à quelques centaines de kilomètres de la capitale Oulan-Bator, à Kharkhorin très exactement, ancienne capitale mongole du 13ème siècle. Aujourd’hui Kharkhorin n’est qu’une petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants sans trop de richesses mais elle était pour notre projet un point de départ idéal. D’une part parce qu’elle est la porte d’entrée de la vallée où nous souhaitions vivre quelques temps avec les nomades, et d’autre part parce que sa taille humaine nous permettait plus facilement d’entrer en contact avec des entrepreneurs locaux. C’est en nous arrêtant au Morin Jim Café que nous avons rencontré Tuya, gérante du café mais avant tout femme d’affaire avertie partie d’une petite négoce de tissus à Oulan-Bator.

Tuya

 

Un voyage qui changera tout

Tuya (ou de son vrai nom Battsetseg Dashnyam) est originaire de l’est de la Mongolie mais c’est très jeune qu’elle émigre avec sa famille dans la capitale du pays, Oulan-Bator. Les origines de Tuya sont plus que modestes, « nous avions de quoi nous nourrir mais sans plus » nous confia-t-elle lors de notre entretien. Elle suivra une scolarité classique et sera même diplômée d’un brevet d’ingénierie dans le bâtiment qui lui sera inutile tant le travail dans ce domaine était rare à cette époque. Mais Tuya a une autre précieuse ressource, celle d’être douée de ses mains. Elle commence donc à confectionner très jeune des habits traditionnels mongoles (connus sous le nom de « deel »). Sa cible n’est cependant pas la clientèle mongole mais les touristes occidentaux de plus en plus nombreux depuis la chute de l’union soviétique en 1991. Tuya, ne sachant que compter jusqu’à dix en anglais, fait alors le tour des grands hôtels d’Oulan-Bator pour proposer ses créations pour quelques dollars. « Quand on parle d’argent, tout le monde se comprend » et la jeune mongole arrive ainsi à dégager ses premiers revenus qu’elle partagera avec l’ensemble de sa famille.

Après quelques temps Tuya est remarquée par une touriste hollandaise en voyage qui, ravie de son travail, lui propose de venir en Hollande tous frais payés pendant quelques semaines afin d’y réaliser des vêtements traditionnels. C’est ainsi que Tuya se rend en Europe, invitée par cette mécène hollandaise. Une fois arrivée sur place, et ne parlant toujours que très peu anglais, Tuya réalise le travail demandé en l’espace d’une semaine et dispose alors d’encore 2 mois et demi de temps libre sur le continent. Grâce à sa marraine, elle trouve un petit travail dans un restaurant où elle fera la plonge et le ménage avant de réaliser, sur la demande du chef, quelques plats mongoles. Elle apprendra ensuite surtout la cuisine occidentale. Avec un peu de sous en poches grâce à ses petits boulots, Tuya entame alors un voyage en Europe et entre autre en France : à Paris puis à Bordeaux où elle développe une passion pour le bon vin et le chocolat. De retour en Mongolie, après trois mois passés en terre occidentale, Tuya, observant l’ouverture rapide de son pays décide de changer d’activité et d’ouvrir un restaurant convivial à la cuisine internationale, où l’Orient et l’Occident se rencontreront.

plaine

 

Une association inespérée 
Ses revenus provenant de son affaire de textile additionnés à une association avec une tiers personne permettent à Tuya de se lancer dans la restauration, mais les débuts ne sont pour autant pas une complète réussite. Venue s’installer à Kharkhorin après son voyage, ville sans trop de concurrence dans ce domaine et pourtant en pleine expansion, son premier restaurant souffrira des mauvaises habitudes de quelques habitants et deviendra plus un troquet qu’un véritable restaurant. Deux solutions s’offrent alors à la jeune restauratrice : se séparer de son associé de l’époque et risquer l’aventure seule ou alors continuer dans cette voie et tirer une croix sur son projet. Elle se séparera de son associé en 2007. Le destin faisant parfois bien les choses, elle rencontra à cette époque Xavier et Olivier, deux français gérant une affaire de randonnées à cheval en Mongolie eux-aussi séparés depuis peu de leur associé mongole et cherchant une nouvelle personne avec qui poursuivre leur entreprise. Ensemble, ils décident de faire projet commun où tout un chacun trouverait son intérêt. D’un côté Tuya gérera une guest house composée de quelques yourtes aménagées en dortoirs ainsi qu’un restaurant qui seront le point de départ et d’arrivée des randonnées. De l’autre, Xavier et Olivier s’occuperont de toute la logistique des treks à cheval.

Morin Jim

Le succès est au rendez-vous ! L’entreprise connue sous le nom « Morin Jim Café » pour la partie hôtellerie et « Horsetrails » pour le côté randonnée, débutée en 2007, ne cesse de voir sa clientèle augmenter d’année en année. Il faut dire que dans ce business modèle, tout le monde est gagnant. D’un côté le Morin Jim Café profite d’une clientèle étrangère de plus en plus nombreuse venue parcourir les steppes de la vallée de l’Okhon à cheval et de l’autre, Horstrailsoffre à ses clients gîte et couverts avec même du pain et de la confiture au petit-déjeuner ! Aujourd’hui, le Morin Jim Cafédispose d’un cheptel de 80 chevaux, emploie dans la haute saison pas moins d’une vingtaine de personnes et n’hésite pas à envoyer certains de ses jeunes employés à Oulan-Bator afin qu’ils suivent des cours d’anglais. Et cela n’est pas finie, Tuya voit encore plus loin… 

café

 

Profiter de son statut pour transmettre des valeurs

Peut-être l’aurez vous remarqué à la lecture de cet article, mais l’entreprise du Morin Jim Café possède un point faible de taille : sa saisonnalité. Ayant majoritairement des voyageurs comme clients, le café ne tourne pour ainsi dire que de juin à octobre, période où les températures sont praticables pour le voyage. Le reste de l’année n’est qu’une longue période creuse pour cette entreprise. Bien que les revenus dégagés de juin à octobre soient plus que suffisants pour couvrir toute l’année, Tuya a choisi de lancer, l’été dernier, la construction d’un nouveau bâtiment aux côtés de son café afin de diversifier son activité. L’hiver est dur en Mongolie, avec une température moyenne de -25°C, et bien peu de mongoles à Kharkhorin ont l’eau chaude dans leur habitation. Dans le but de fournir un peu de confort à ses pairs, Tuya construit donc un sanatorium ouvert toute l’année qui profitera l’été aux touristes et l’hiver aux locaux. En plus de cela, ce nouveau bâtiment disposera de quelques chambres au premier étage qui serviront de chambres d’hôtel l’été mais qui seront louées à bas prix le reste de l’année aux jeunes venus étudier en ville. Ainsi, non seulement Tuya fera tourner son affaire toute l’année mais elle contribuera également au bien-être de sa communauté.

yourtes

En plus d’être douée en affaires, Tuya a également une conscience écologique encore très rare en Mongolie. Voyager dans ce pays, comme dans beaucoup de régions en développement, c’est accepter de croiser au bord des routes des déchets de toutes sortes, des bouteilles vides en pleine nature ou encore des détritus dans les rivières. Ce que nous pouvons considérer comme étant du «je  m’en foutisme » n’est bien souvent qu’un manque d’éducation : les gens n’ont pas conscience des impacts environnementaux de leurs actions. Ayant voyagé en Europe et rencontré bon nombre d’étrangers, Tuya connaît les conséquences de tels comportements et elle n’hésite pas à en faire part à ses employés ou aux familles nomades avec qui elle travaille. Plus encore, en réponse à une déforestation inquiétante, elle a entamé cette année une replantation d’arbres au niveau de son camp et espère ainsi encourager ses voisins à faire de même. En incitant de plus en plus ses associés à adopter une attitude écologique soutenable, Tuya espère atteindre également leurs enfants et ainsi faire de la génération de demain une génération pleinement respectueuse de leur environnement. Une entrepreneuse mais pas que !

 

Fin

 

Son plus gros challenge : se séparer de son premier associé et se lancer seule dans un projet de création d’entreprise.

 

Ses conseils pour de futurs entrepreneurs :

  •  « don’t break the human feelings » : être en affaires ne signifie pas perdre toute humanité, il faut au contraire préserver des relations conviviales avec son entourage et faire confiance à ses ressentis.
  •  « my working people business » : employer des gens ce n’est pas juste échanger une main d’œuvre contre un salaire, c’est aussi leur faire partager vos émotions et vos convictions.
  • « keep the atmosphere clean » : faire en sorte de préserver son environnement non seulement pour soi-même, mais aussi pour la durabilité de son entreprise.