Entreprendre : un sport comme un autre

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Medellin : du crime à la mode

Partir en Colombie étudier le comportement entrepreneurial local était pour bon nombre de nos proches et auditeurs une folie furieuse : « mais cherchez-vous décidément les problèmes ? ». Effectivement, on ne peut pas dire que ce pays profite d’une bonne presse internationale. Nous avons tendance à associer ce pays aux narcotrafiquants, FARCs, paramilitaires et autres groupuscules armés. Non sans tort d’ailleurs, ceci est toujours une réalité propre à cette région mais la Colombie est aujourd’hui bien plus que cela avec un comportement entrepreneurial très présent dans ses mœurs.

La Colombie profite depuis ces dernières années d’un développement économique non négligeable constaté et salué par la communauté internationale comme en témoigne la récente croissance exponentielle du tourisme. La drogue et la corruption n’ont pas disparu, loin de là, mais elles se font désormais dans la plus grande discrétion afin de devenir une face cachée et non plus la face médiatique du pays. La triste vérité est qu’il est aujourd’hui bien plus dangereux d’être colombien que d’être étranger en voyage en Colombie.

Un symbole de ce renversement pourrait être la ville de Medellin, ancien fief du cartel du célèbre Pablo Escobar qui dirigea d’une main de fer le trafic de cocaïne en Amérique. Medellin est aujourd’hui devenue la ville de la soie, de la mode, des défilés mais aussi de la nuit réputée dans toute l’Amérique latine : un changement du tout au tout en l’espace de quelques années. Nous avons ici croisé le chemin de Sami Muvdi, entrepreneur de 34 ans spécialisé dans le matériel de sport de raquette depuis 2007. Un personnage très représentatif de l’entrepreneuriat colombien.

 

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2007 ou l’année d’une naissance

Sami se destinait-il à devenir entrepreneur ? La réponse est bien évidemment non, ce trentenaire voulait au départ devenir homme de loi. Originaire de Barranquilla, c’est là-bas qu’il entame des études juridiques avec l’aide de ses parents, mais très vite le jeune étudiant se voit découragé. La corruption est ce qu’on pourrait dire un « sport national » en Colombie et Sami découvre qu’il n’y a qu’une loi qui fait force d’autorité : la loi du plus riche. Vous ne verrez que rarement dans une prison colombienne des personnes issues des milieux aisés ou des cartels importants, les prisons sont avant tout réservées à ceux qui ne peuvent s’offrir juges, policiers ou témoins. Le cas le plus représentatif reste celui de Pablo Escobar qui, ne pouvant échapper à sa condamnation au vue de sa réputation internationale, s’était fait construire sa propre prison gardée par ses hommes de main. Sami ne souhaitant pas participer à cette comédie juridique arrête ses études dès les premières années et commence à travailler dans un magasin de chaussures.

 

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Cet emploi n’était pas des plus lucratifs et les fins de mois étaient souvent justes. En 2006, Sami apprend qu’il aura bientôt une fille et donc une bouche de plus à nourrir. Il n’a alors plus d’autre choix que de chercher une activité plus lucrative. Travailler dans la vente de chaussures lui a cependant appris une chose : les colombiens ne sont pas entreprenants en ce qui concerne les importations depuis des pays non hispaniques. La barrière de la langue bien sûr, mais aussi les problèmes administratifs et la peur de ne jamais voir arriver les commandes. Sami est également passionné de tennis depuis son plus jeune âge comme beaucoup de colombiens (second sport pratiqué en Colombie après le football). Il sait alors qu’il n’y a qu’une seule marque de cordes de raquette (qui plus est de mauvaise qualité) sur le marché et après quelques recherches sur Internet, il constate qu’il y a bon nombre de marques de cordes vendues aux États-Unis et en Europe. C’est après avoir contacté un magasin américain par e-mail (Sami baragouine alors un anglais appris à l’école), qu’on le met en contact avec Omer, un équatorien qui gère la distribution de cordes en Équateur. « Très aimablement » nous dit-il, Omer lui apprend par e-mail les bases du travail de distributeur au niveau national et lui donne l’adresse d’un site internet où il pourra trouver les contacts des fabricants européens. Nous sommes en 2007 et c’est alors que débuta l’aventure entrepreneuriale de Sami Muvdi.

 

Entreprendre grâce au 2.0

Après quelques e-mails échangés avec un fabricant allemand, Sami apprend que les cordes européennes ne sont pas distribuées en Colombie pour la simple et bonne raison que personne ne s’était jamais proposée afin d’y jouer le rôle de distributeur. On lui propose alors de remplir ce rôle s’il s’en sent capable mais quand l’individu est en situation de nécessité il n’est plus question de se sentir capable ou non, il faut se lancer. À cette époque Sami dispose en tout et pour tout de 2,000 $ en poche et ses parents lui proposent de lui confier leurs économies, soit l’équivalent de 15,000 $. Après quelques échanges électroniques avec son nouveau contact allemand, il a l’heureuse surprise d’apprendre que l’État allemand finance de sa poche toute exportation allemande : aucun frais de transport à l’horizon ! Il peut dès lors acheter ses cordes à prix d’usine (9$ pièce) envoyées ensuite par DHL, soit sans doute le courrier le plus sécurisé au monde. Il ne lui reste alors plus qu’à savoir si les magasins de matériel sportif colombiens sont disposés à proposer ses nouvelles cordes et à quel prix.

Sami commande donc quelques échantillons et utilise une partie de son capital pour entamer un tour dans les plus grandes villes colombiennes afin de démarcher ses potentiels clients. Pendant plusieurs semaines, Sami voyagera et dormira dans sa voiture, parcourant le pays afin de proposer et offrir ses quelques échantillons de cordes. Non seulement les retours sont plus que positifs, mais Sami apprend qu’il y a alors UNE personne située à Bogotá qui propose des cordes d’une qualité honnête, au prix de 40$ pièce ! Il décide donc de casser les prix et propose ses cordes au prix de 25$ pièce aux magasins colombiens qui sont ravis de cette proposition.

 

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Par Internet et de chez lui, Sami commence donc à fournir certains magasins via courrier et joue ainsi le rôle d’intermédiaire entre fabricants allemands et points de vente colombiens. « Être un bon homme d’affaire c’est avant tout être un bon intermédiaire », cet adage s’avère encore une fois exact.

 

La passion de la qualité

Il reste un challenge de taille auquel Sami doit encore faire face : lutter contre la concurrence des cordes chinoises (qui gèrent eux-mêmes leur distribution en Colombie) forcément moins chères mais également de moins bonne facture. Il faut dès lors éduquer le consommateur et lui montrer qu’acheter des cordes allemandes est plus qu’un achat : c’est un investissement. Certes le prix sera plus élevé mais ses cordes dureront plus longtemps et éviteront au consommateur des rachats réguliers. « Une simple démonstration convainc le client » nous dira-t-il, mais encore faut-il faire la démonstration. C’est aujourd’hui le plus gros de son travail, circuler à travers le pays dans ses points de vente partenaires et aller à la rencontre des consommateurs à la recherche de qualité. C’est ainsi que nous avons pu rencontrer Sami, de passage à Medellin en juillet dernier.

 

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Depuis quelques années, Sami se diversifie. Il propose désormais du matériel de squash et de badminton et songe encore à élargir sa gamme de produits. Son objectif pour l’année prochaine ? L’ouverture de trois points de vente dans les trois plus grandes villes du pays afin d’exposer l’ensemble de ses produits et ainsi étendre son influence sur le marché colombien. Une influence déjà bien assise car ses partenaires allemands (et maintenant européens), après ces six années de coopération, lui ont donné l’exclusivité de leurs produits pour la Colombie. A-t-il pour autant déjà rencontré ses partenaires étrangers ? Jamais ! Chaque année des marques telles que PACIFIC l’invitent en Europe afin de participer à des forums spécialisés, lui offrant même jusqu’à 2,000$ d’échantillons, mais Sami n’a jamais fait le déplacement. Pourquoi ? Selon lui, chercher à obtenir un visa pour se rendre en Europe serait une perte de temps, d’argent et l’obligerait à se déplacer à Bogotá pour des rendez-vous inutiles avec les autorités. Il préfère aujourd’hui consacrer entièrement son temps professionnel à son entreprise : distributeur de matériel sportif en Colombie.

 

Son plus gros challenge : convaincre les joueurs colombiens de la rentabilité de ses produits malgré un prix élevé.

 

Ses conseils pour de futurs entrepreneurs :

  •  « la perseverancia » : ne pas compter ses efforts dans son aventure entrepreneuriale, surtout si sa réussite a des conséquences sur le bien-être de ses proches.
  • « tener confianza en sus productos » : avoir confiance en ce que l’on propose quitte à offrir au début ses produits plutôt que de chercher à les vendre.
  •  « la salud » : surveiller son hygiène de vie et s’entretenir, entreprendre est un sport et on ne peut bien jouer que si l’on est en bonne santé.